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Pour la p'tite histoire...

Ecrivain Public / Chapitre 2 – Yves, lumière dans la nuit…

By avril 11, 2022juillet 21st, 2022No Comments
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Il est des poètes lumineux tapis dans l’ombre. Qui écrivent pour la liberté, sans être lus. Qui écrivent pour lutter contre leurs démons… Qui adressent leurs vers au-delà de ce monde, par-dessus la réalité. Pour se donner des repères, des scintillements, dans le noir. Voici l’un d’entre eux.

C’est un grand regard bleu délavé. Profond. Porte d’entrée sur un autre monde. 

Celui d’une intériorité conflictuelle où la poésie est l’armistice, l’antidote, la révolte…

J’ai rencontré ce regard dans un bar de Lorient, Le Diplomate. Un endroit qui s’était imposé par le hasard du premier rendez-vous. Yves m’avait appelée. Il cherchait une aide pour taper et mettre en page ses poèmes. Ce jour-là, je me trouvais dans le quartier du Diplomate, alors nous avons convenu d’un rendez-vous dans ce petit bistrot de quartier. C’était logique, cet après-midi-là. Mais ce qui est amusant, c’est que lors de nos rendez-vous réguliers, les mois et années qui ont suivi, nous avons gardé ce lieu de rendez-vous, alors qu’il n’y avait plus de raison rationnelle de se rejoindre dans ce coin-là de la ville. Ni pour Yves, ni pour moi. C’est peut être ça, la diplomatie, une rencontre pas pratique pour de grandes choses importantes…

Taper des poèmes. Mot après mot, ligne après ligne. Saisir le noir sur le blanc. Le contraste et la lumière. Transcrire fidèlement. Tisser page après page. Format A5 portrait. Les vers qui brillent, ceux plus tâchés, brouillés qu’Yves déroule dans ses carnets. Mettre de l’ordre, paginer, présenter, imprimer. Cela l’aide à ranger sa tête, me dit-il. Une tête que l’administration psychiatrique a désignée comme souffrant de schizophrénie. Alors, sans le chercher, sans le vouloir, je me suis retrouvée dans cette collaboration d’art-thérapie. Tout simplement et sensiblement embarquée dans cette rencontre poétique. 

« Pourquoi les animaux ont les yeux qui pleurent? » a demandé Yves, un jour. Voici sa réponse : « Parce qu’ils sont tristes de constater l’empreinte de l’homme sur le monde. »

À chaque rencontre, nous échangions. Carnets manuscrits contre textes mis en pages et imprimés. La collaboration avait un contour, un cadre précis et simple. Et au cœur, il y avait l’art et la sensibilité du poète, du peintre. Yves a évoqué Mathieu Koons, un jour. Tulipes régurgitées, art commercial. Avant de célébrer la magie de Zao Wou-Ki, ses paysages poétiques aux contours dilatés et précis, comme la vérité. « C’est vrai, ce qu’il peint », affirmait Yves, ce jour-là, me confiant 6 carnets bleus et 3 contes. Lui-même avait un don pour jouer avec les couleurs et la lumière, sur la toile. 

« L’écriture est thérapeutique, pour moi, elle m’apaise, me pose, me permet d’émettre de bonnes ondes. On peut tout changer en écrivant. On peut changer le monde. Et même, on peut changer le passé… »

Les échanges en présentiel étaient brefs, avec Yves. Ils pointillaient de longues séances de travail en solo, face aux textes manuscrits d’Yves, à plonger dans ses poésies et son univers. 

Qu’est-ce que la poésie, sinon une folie sublime, émancipée de la norme ? Une liberté non convenue, éclatante ! Dans l’intime chaos identitaire de cet homme reconnu schizophrène, la poésie devenait l’essence, la source, le centre. Les mots ouvrent une autre dimension, quand ils jaillissent d’une désorientation. Ils construisent un monde apaisé, débarrassé, frais et heureux… Telle est la poésie d’Yves, ce poète aux grands yeux dévorés d’oraisons irraisonnées. Le stylo et la page comme exil rédempteur. 

Voici quelques éclats de mots qu’il m’a confiés : 

 

« Je ne suis qu’un guillemet,

 

qu’une porte entrouverte pour y jeter le paysage,

 

qu’un cri, qu’une révolte y compris de moi-même,

 

de n’avoir pas pu supporter le fait que la vie existe et m’avait été donnée.

 

Je ne suis que le sursaut de la haine

 

devant l’amour que j’ai condamné d’avoir su mon secret. »

 

 

« Il fallait se décider.

 

Voulait-on le rêve que de vivre

 

ou voulait-on vivre en vue d’accéder

 

aux besoins du monde qui est de se satisfaire ? »

 

« Nous n’étions que jouets dans un ensemble impossible à définir. »

 

« Mon âme avait atteint la saison des souvenirs. »

 

« De tous malheurs que de perdre un enfant,

 

il y a celui, plus aisé,

 

que de perdre son temps. »

 

 

« Ne t’avise plus

 

à rencontrer les temps passés

 

à se savoir perdus

 

d’un jour qui a chuté.

 

Moi qui ne croyais en rien

 

si ce n’est en la vie,

 

je sais le périple, la douleur et l’angoisse

 

des temps renouvelés.

 

Moi, ton âme

 

je me suis promenée

 

dans l’orgueil que d’être et de croire

 

vantant mes mérites

 

et me saluant bien bas.

 

Est-ce assez pour se dire insignifiant ? »

 

Yves, poète lorientais.

 

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Marie Fidel

Écrivaine portraitiste-biographe, j'ai créé l'écritoire de Marie en 2014 pour raconter les histoires de vies, de lieux, de société...